Une saga familiale
Si aujourd'hui le nom "Louis Vuitton" fait naître en nous des images de défilés, et dessine le visage de Bernard Arnault superposé à celui de Marc Jacobs, il n'en fut pas toujours ainsi. Avant d'investir le monde du prêt-à-porter et d'intégrer une multinationale du luxe, Louis Vuitton fut durant de longues années une maison de maroquinerie de luxe qui a révolutionné la façon de voyager de toute une génération.
Tout a commencé en 1821, avec la naissance de Louis Vuitton, fils de menuisier. Le garçon apprend à ses côtés à manier les outils, mais la vie calme et sans surprise qu'il mène dans le Jura ne satisfait plus le jeune Louis. Il désire aller tenter sa chance à Paris. À 14 ans, après avoir effectué 400 km à pied pour rejoindre la capitale, il entre en apprentissage chez un "layetier-emballeur-malletier". Cette activité consistait à empaqueter les affaires de la haute société lorsqu'elle partait en voyage.
Tout est emballé dans des malles, et les effets personnels des voyageurs ne sont guère accessibles durant le voyage. Louis Vuitton apprend également à confectionner des coffres de voyage, et son savoir-faire - ainsi que sa dextérité - ne tardent pas à faire de lui un élément précieux de la maison pour laquelle il travaille. Il se voit confier des clients prestigieux, tels que l'impératrice Eugénie, pour qui il réalise un nécessaire complet de voyage.
Nous sommes en 1854, et Louis Vuitton observe les changements qui sont en train de s'opérer sous ses yeux : il assiste à l'essor des transports, tels que la locomotive, le bateau à vapeur, l'avion et l'automobile. Les classes aisées commencent à voyager de plus en plus fréquemment, et leurs bagages sont loin d'être adaptés à cette nouvelle soif de découvertes qui les étreints. C'est pourquoi, en visionnaire éclairé, Louis Vuitton crée sa société avec l'idée de concevoir des bagages alliant fonctionnalité, luxe et innovation. Il décide d'accompagner la révolution qui sévit dans les transports, en faisant du voyage son thème d'inspiration.
Louis Vuitton veut que les bagages suivent les voyageurs sans les entraver, il veut créer des accessoires adaptés au nouveau mode de vie qui est en train de se dessiner. C'est pourquoi il a l'idée de transformer les encombrantes malles aux coffres rebondis en des valises plates qui auront la faculté de se ranger facilement et de pouvoir se superposer. Le succès qu'il rencontre est immense, car ses produits sont en adéquation parfaite avec les aspirations du moment.
Les commandes affluent, et l'atelier d'Asnières devient trop exigu ; Vuitton déplace ses ateliers près de la Seine. Dix ans plus tard, c'est l'ouverture du Canal de Suez, qui est pour Louis Vuitton l'occasion de conquérir un monde avide de luxe qui lui était jusqu'alors difficilement accessible. Les maharadjahs, les sultans et les rois d'Orient sont friands de ces bagages à la qualité irréprochable, au luxe aristocratique et la praticité avérée. Tous ces personnages gravitant dans le monde des têtes couronnées ou au sein des sphères hollywoodiennes deviennent la vitrine prestigieuse de la maison Louis Vuitton.
En 1870, George, le fils de Louis, animé par la même passion que son père, qui lie voyage et excellence, rejoint la société familiale. C'est d'ailleurs lui qui pousse son père à se développer à l'étranger : Louis Vuitton ouvre alors une boutique à Londres, puis à New York. Le développement de la marque à l'international confronte la maison Louis Vuitton à un problème majeur : la contrefaçon. La première initiative pour lutter contre ce fléau est prise par Louis Vuitton : il dépose un imprimé exclusif à la maison, un damier beige et marron sur lequel est inscrit "Marque Louis Vuitton déposée", mais cela ne suffira pas.
En 1892, Louis Vuitton décède. Son fils, entouré de tous les siens relève le défi et décide de continuer l'aventure. George met un point d'honneur à être toujours à l'avant-garde de la création, tout en privilégiant le savoir-faire artisanal qui a fait leur succès. En 1896, il prouve qu'il est le digne descendant de son inventeur de père, en dessinant cette fameuse toile "Monogramme LV", qui en plus de tenter d'enrayer les contrefaçons, va devenir le signe distinctif de la griffe.
En plus de ce motif inédit, il met au point une nouvelle matière, une toile grise (gris Trianon) qui allie résistance, imperméabilité et légèreté, et qui remplace à merveille le cuir. Cette toile donnera naissance un peu plus tard à toute une ligne de bagages souples, facilement transportables et aux tailles variées, s'adaptant à tout type de voyage. C'est pour les 100 ans de la marque, lors de l'ouverture d'une boutique avenue Marceau (en 1914, ils en ouvraient une sur les Champs Elysées), que cette collection est lancée.
En 1932, le sac Noé, qui s'inspire des sacs adaptés aux voyages en bateau, devient un "it" et devient dès lors un des classiques de la maison. Depuis 1936, c'est Gaston-Louis, le fils de George, qui a repris l'affaire. La toile souple semble être l'avenir de la bagagerie, c'est pourquoi Gaston Louis et son fils poussent leurs recherches dans ce sens.
En 1959, ils innovent en déposant un brevet pour un nouveau type de toile (alliant lin, PVC et coton) et pour un nouveau type d'enduction de cette dernière. C'est un succès retentissant. En 1977, Odile Vuitton et son mari donnent une nouvelle dimension à la maison Louis Vuitton, en la transformant en multinationale. "Louis Vuitton SA" est né. Les choses seront désormais différentes.
Inventions et esthétiques au service du voyage
Toujours à la pointe au niveau de l'innovation, la maison Louis Vuitton n'a jamais bradé la qualité et les savoirs artisanaux qui lui ont permis d'être très vite - et depuis plus d'un siècle et demi - leader sur son marché. De la mallette "tout-en-un " à la malle-lit, des penderies de voyages imaginées par Louis Vuitton à la toile ultra résistante et imperméable, où les éraflures ne marquent pas (conçue en 1959), jusqu'au monogramme revisité dans les années 2000 par Takashi Murakami (qui s'est alors vu paré de couleurs acidulées un peu kawaï), Louis Vuitton est sur tous les fronts, tant sur le plan de l'innovation que sur le plan stylistique et artistique.
En plus de cette production maîtrisée et basée sur l'excellence, la marque s'associe également à des événements qui illustrent à merveille son goût pour les traditions et les performances. Louis Vuitton Classic est ainsi le concours le plus prisé par les collectionneurs de voitures, tandis que la Louis Vuitton Cup est associée à la plus prestigieuse des compétitions de yachting.
LVMH
C'est en 1987 ? soit dix ans après qu'elle soit devenue une multinationale ? que la maison Louis Vuitton fusionne avec Moët Hennessy pour former LVMH : Moët Hennessy Louis Vuitton. LVMH devient alors le leader mondial du Luxe...
En 1989, Bernard Arnault devient actionnaire majoritaire du groupe, et s'emploie à faire de la griffe Louis Vuitton un véritable empire, en diversifiant ses produits. La maroquinerie ne sera plus le seul secteur à bénéficier de l'aura extraordinaire de la marque : l'horlogerie, les chaussures, les cosmétiques, les parfums et le prêt-à-porter vont devenir autant de facettes de l'univers Vuitton.
L'aventure Marc Jacobs
En 1989, Louis Vuitton est certes une griffe de renom, mais elle ne possède pas ce petit plus tendance, mode, qui pourrait faire d'elle une marque suscitant l'euphorie et la fièvre acheteuse. C'est pourquoi Bernard Arnault, visionnaire - et donc finalement dans la droite ligne de l'esprit de la maison Vuitton - fait trembler les actionnaires de LVMH en confiant les rênes du prêt à porter à un créateur new-yorkais alors connu pour ses frasques nocturnes et son addiction à un bon nombre de paradis artificiels : Marc Jacobs.
Ce dernier, en dépit de son goût pour l'irrévérence, saisit cette opportunité au vol et intègre en 1997 cette maison au passé chargé de prestige, mais encore vierge de véritables collections de prêt-à-porter. C'est donc à lui de définir l'image de la mode que donnera la maison, et pour cela il aura carte blanche. Il s'avère que la folie de ce créateur, mixant luxe et style grunge, est exactement ce dont avait besoin l'inventive - mais parfois un brin trop conventionnel - griffe Louis Vuitton.
Marc Jacobs séduit, rend Louis Vuitton incontournable, et confère à cet univers une modernité libérée - entre classique et psychédélique - qui rend complètement addict les fashionistas du monde entier. Marc Jacobs devient une véritable icône hype et son aura ressurgit sur Louis Vuitton. Son secret ? Traiter l'univers du luxe avec dérision, le mettant en abîme tout en en faisant intimement partie.
En 2006, il s'applique à mélanger les attributs de la petite fille de bonne famille à ceux de celle des quartiers pauvres de New York, ce qui donne naissance à une silhouette au manteau en vison bien trop grand, et aux moufles xxl en fourrure. L'oxymore à la Marc Jacobs fait de lui la coqueluche du monde de la mode. Il pousse la provocation au point parfois de s'y brûler les ailes, mais fini toujours par clouer le bec à ses détracteurs... Il fait finalement très bien le jeu marketing de Louis Vuitton, qui grâce à son styliste touche au sulfureux branché, et y gagne ses lettres fashion.
Expansion à l'étranger
Louis Vuitton est une maison française, mais qui de par son essence - intrinsèquement liée au voyage-, a vite gagnée une renommée internationale. En 1885, la griffe française s'exporte à Londres, puis aux États-Unis, qui représentent le 2e marché de Louis Vuitton, le premier étant le Japon. L'engouement de la nation nippone pour cette marque de luxe française est d'ailleurs tout à fait exceptionnel : à eux seuls, les Japonais génèrent plus de 70 % du chiffre d'affaires de Louis Vuitton !
Le malletier de luxe s'est implanté sur l'archipel en 1978, et un peu plus de 30 ans plus tard, il est devenu La marque cultissime. Quasiment tous les Japonais ont un Vuitton (hommes et femmes confondus). Que ce soit le sac à main, la mallette ou les valises, ils en sont absolument fans. Ils ont néanmoins une exigence : que le monogramme de l'accessoire siglé soit le plus ostentatoire possible. En effet, ce qui importe pour les Japonais, c'est que l'on voit bien que c'est du Vuitton, les modèles plus passe-partout ne remportent aucun succès chez les Nippons...
Ce n'est pas pour rien que LVMH a implanté la plus grande boutique Louis Vuitton en plein cœur de Tokyo, et non à Paris ou New York. Le marché que représentent les Japonais est du pain béni pour le groupe, ces derniers vouant un véritable culte à la marque. Pour l'ouverture en 2002 de la gigantesque boutique sur l'avenue Omotesando - l'équivalent de nos Champs-Élysées - un millier de personnes étaient présentes et ont siégé plus de deux jours devant les portes afin d'être les premières à pénétrer dans le saint des saints...
Outre leur amour quasi fanatique de la marque, les Japonais éprouvent le besoin d'acheter leur Louis Vuitton dans une boutique de la griffe - et non dans un banal magasin de maroquinerie - et trouvent les contrefaçons abjectes. Ils représentent donc un terreau fertile de consommateurs pour LVMH, qui en prend d'ailleurs bien soin.
En dehors du Japon, Louis Vuitton est fidèle à sa réputation de pionnier et a investi des contrées où il fut le premier à oser proposer des produits de luxe. C'est ainsi qu'il s'est installé en Chine, en Inde, au Vietnam et en Afrique du Sud. La marque est présente dans plus de 60 pays et possède en nom propre ses 320 magasins, ce qui lui permet de maîtriser son image.
Par ailleurs, en dépit de son expansion mondiale, Louis Vuitton conserve la majorité des ses ateliers en France (au nombre de 10) et en possède deux en Espagne et un aux États-Unis. En dépit de toutes les difficultés que peut rencontrer le marché du luxe (contrefaçons, crises économiques, etc.), Louis Vuitton semble passer à travers les mailles du filet, conquiert toujours de nouveaux marchés, booste à lui seul le groupe LVMH et affiche une santé insolente.
Campagnes de publicité
Après Marc Jacobs, l'autre coup de génie que s'est offert Louis Vuitton sont ces campagnes de publicité. La bombe pulpeuse du cinéma américain, Scarlett Johansson, a signé un contrat avec la marque et est devenue son égérie, incarnant la femme Louis Vuitton, entre ingénue et glamour hollywoodien, selon les campagnes. La belle, photographiée par Mert Alas et Marcus Piggott, porte toujours à son bras l'un des sacs must have de la maison. Grâce aux nombres grandissant de beautiful people shootés avec leur Vuitton, la marque est passée du classique/luxe au classique/luxe/ultra hype.
Récemment, c'est en hommage au voyage que la marque a choisi de faire de l'ex-président de l'URSS, Mikhaïl Gorbatchev, l'un des protagonistes de sa campagne de publicité, un sac Vuitton débordant de paperasse à ses côtés dans une voiture longeant le mur de Berlin... Les autres photos de la campagne mettent en scène Catherine Deneuve, Steffi Graf et André Agassi... C'est, en tout cas une campagne qui a fait couler beaucoup d'encre et qui a permis à Vuitton de recentrer son image. Mais avoir Gorbatchev en photo pour sa campagne à un prix, et Louis Vuitton a dû faire un don important à l'association Green Cross International dont Gorbatchev gère les intérêts.
Louis Vuitton a une image particulière : la fashionistas hésite ainsi parfois - même si sa bourse lui permet - à acquérir un sac monogrammé, par peur de ressembler au stéréotype des petites princesses citadines. Il ne faut pourtant pas oublier que Louis Vuitton est avant tout une maison proche du monde de l'art : il suffit de voir les magnifiques architectures de ses différentes boutiques, conçues par des architectes éclectiques et talentueux, ou encore ses vitrines, où elle laisse s'exprimer les artistes, et même les étudiants de la Saint Martin School.
Pour ce qui est des sacs Louis Vuitton, tout aussi revisités qu'ils soient, ils sont néanmoins le fruit d'un travail artisanal, authentique et rare, qui en font des sacs à part. Le luxe Vuitton n'est pas surfait, il vient du temps consacré à chaque pièce, à l'attention perfectionniste qui leur est vouée. Un luxe à l'ancienne baigné dans l'air du temps... Entre tradition et modernisme, et en innovant dans tous les domaines, il n'est pas étonnant que Louis Vuitton soit la première marque de luxe au monde...