Le retour de la ballerine ?
On a beau savoir que la mode est un éternel recommencement, il est toujours surprenant de voir son mécanisme de recyclage en action, d'assister à ce savant tour de prestidigitation permettant de faire muter l'aura d'un produit. C'est ainsi avec une fascination teintée d'incrédulité que nous observons actuellement le retour de la ballerine sur le devant de la scène mode…
Aussi fou que cela puisse paraître aujourd'hui, les jeunes modeuses du début des années 2010 ne juraient que par Maloles, Bloch ou Repetto. Collégiennes, lycéennes, jeunes actives ou actrices, toutes portaient alors ces chaussons autrefois chers à Audrey Hepburn et Brigitte Bardot. Il faut dire qu'avec leurs semelles ultra plates, leur élégance tout terrain et leurs coloris variables à l'infini, les ballerines avaient tout du basique addictif. Il n'y a cependant pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne : la courbe de vie d'une tendance massive est cruelle et la chute succède inexorablement au succès. Trop vu, trop décliné, un produit longtemps adoré se voit ainsi soudainement banni des vestiaires. Il devient rapidement le symbole d'une époque révolue, la caricature de lui-même.
C'est ainsi que si en 2010 les 15/20 ans ne rêvaient que du modèle BB de chez Repetto, en 2020 les millennials ne pensent que baskets branchées : hors de question pour elles de chausser ce qui à leurs yeux s'apparente à un "man repeller" pour quadra BCBG. C'était cependant sans compter sur la nature cyclique de la mode. Depuis quelques saisons, les créateurs ont en effet entrepris de remettre doucement mais sûrement la ballerine au goût du jour. Grunge/rock chez Miu Miu, pointue chez les autres, cette dernière s'est ainsi vue relookée afin de séduire - avec un certain succès - celles qui l'avaient reléguée au rang de vieillerie obsolète.
Une mise en lumière qui prépara les esprits à la tendance actuelle visant à faire de la classique ballerine un nouveau must have. Ajoutez à cela la disparition de Karl Lagerfeld (qui renforce l'aura mythique des produits Chanel et plus particulièrement des ballerines bicolores de la griffe), le désir encore inconscient - mais bien réel - de trouver une alternative aux massives "ugly shoes" ainsi que l'immunisation des modeuses contre la crainte de voir leur silhouette tassée par un accessoire (après le large sur large, les robes prairies oversize et les blazers ultra épaulés, plus rien ne leur fait peur) et vous obtiendrez les conditions idéales pour convaincre les influenceuses de chausser des ballerines… et donc de convaincre leur followers de faire de même. Une tâche que la mannequin britannique Adwoa Aboah semble prendre particulièrement à coeur, si l'on en juge par ses dernières apparitions (voir ici, ici et là)...
Il ne nous reste désormais plus qu'à attendre de voir si les boutiques Repetto redeviendront un spot branché, si les podologues verront leur clientèle augmenter (l'ultra plat étant néfaste pour le corps) et si, à l'instar de la Stan Smith qui renaquit de ses cendres en 2015, la ballerine connaîtra bientôt un nouvel âge d'or. Quoi qu'il en soit, celles ne craignant pas les illusions d'optique peu flatteuses que peuvent parfois provoquer les chaussons de ville type "Cendrillon" et désirant renouer immédiatement avec la praticité de ces derniers auront tout intérêt à leur apposer un dress code à des années-lumière des traditionnelles silhouettes BCBG. L'idée étant de leur offrir une nouvelle existence loin des clichés qu'elles ont longtemps véhiculés. À elles ainsi roulottés sur la cheville, les shorts en denim un peu trop larges, les amples et courtes robes pulls, les mini-jupes en jean un peu destroy, les combinaisons utilitaires également roulottées sur la cheville, les micro robes minimalistes, les salopettes, et les robes liquettes esprit chemise d'homme.
Quant aux autres, pas d'inquiétude : le port de la basket est encore et toujours au firmament de la tendance...
Par Lise Huret, le 27 avril 2020
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